Blockchain et traçabilité de la supply chain : quelle est la bonne approche ?

Cet article reprend une tribune publiée dans 21 millions en Mai 2021, la newsletter crypto du magazine Capital.

Ces dernières années, la supply chain (gestion de la chaîne logistique) a été désignée comme la candidate idéale pour les toutes premières expérimentations de la fameuse “technologie blockchain”. En effet, outre la paraphrase téléphonée, tous ceux qui imaginent la blockchain comme une technologie de stockage et de transmission d’information (sic) ont fait un rapprochement à première vue logique entre les deux.

Mais à y regarder de plus près, ce rapprochement est loin d’être évident. Le premier besoin auquel on pense quand on associe blockchain et supply chain est le besoin de traçabilité. Et quel est le point de départ de tout système de traçabilité ? La donnée. Et plus précisément, la récolte de données pertinentes, utiles. Et pour faire cela, la blockchain n’est d’aucune utilité ! Récolter les événements liés au cycle de vie d’un produit quel qu’il soit est un véritable challenge, surtout que dans la plupart des cas ce cycle fait intervenir plusieurs acteurs différents : le producteur de la matière première, le négociant, le transformateur, le transporteur, le prestataire de service, le contrôleur et j’en passe : tous seront à l’origine d’événements, de données et de documents. Mis bout à bout, ils forment la véritable supply chain d’un produit.

Mais alors, si la blockchain n’aide en rien à la récolte de données, pourquoi s’obstine-t-on ? L’autre élément auquel on pense naturellement est l’automatisation de traitements avec les smarts contracts. Mais encore une fois, les éventuels traitements automatisés sont souvent hyper spécifiques et complexes au niveau fonctionnel surtout quand ils font intervenir plusieurs sociétés. La programmation de traitements automatisés est très souvent limitée avec les blockchains, même celles autorisant les contrats “turing complete”. Le problème devient rapidement un cauchemar quand on souhaite rendre les systèmes interopérables et surtout résilients quand la notion de durée de vie du produit est primordiale.

Au vu de tous ces éléments, on se dit que finalement ce n’était peut-être pas l’idée du siècle d’associer la technologie de chaîne de blocs au monde de la supply chain. Mais il existe un besoin où il est très pertinent d’utiliser la blockchain : prouver la datation et l’origine des événements, dans le cas d’un environnement hostile où les données récoltées seraient mises en doute, par un ou plusieurs acteurs de la chaîne de production et/ou d’approvisionnement ou directement par le consommateur final.

Si la pertinence de ce besoin de confiance est avérée, on se dit que le choix devrait se porter en priorité vers les infrastructures les plus décentralisées où la possibilité de triche d’un acteur est réduite à peau de chagrin. Et pourtant, pour la plupart des projets lancés dans le domaine – on peut citer la fameuse blockchain alimentaire d’un grand groupe de distribution français – le choix de la blockchain utilisée est le pire possible quant à l’accomplissement de cette tâche. En effet, les industriels, conseillés par des experts blockchain sûrs de leur fait, portent leur dévolu sur des blockchains privées totalement centralisées ou encore des blockchains de consortium où ils se heurtent très rapidement à des problèmes politiques entre membres, par absence de convergence d’intérêts.

Le cas d’usage roi de la blockchain reste la monnaie. Bitcoin a été créé comme un système monétaire indépendant et autonome. Et pour que cela fonctionne, il a fallu trouver un moyen de rendre le registre de transactions indiscutable. La preuve de travail résout un problème de confiance pour un maximum d’utilisateurs simultanément. L’immuabilité du registre en fait une parfaite référence commune impossible à falsifier.

La bonne solution est selon moi de se greffer aux registres les plus sécurisés au monde (et donc les blockchain publiques) et de les utiliser uniquement pour responsabiliser les acteurs de la chaîne sur les éléments déclaratifs. Cela n’empêchera pas les erreurs ou même les mensonges, mais par contre, à partir du moment où une donnée de traçabilité sera prouvée dans une blockchain véritablement inviolable, les responsabilités des déclarants seront clairement engagées, et cela permettra d’installer un climat de confiance même dans les environnements hétérogènes les plus hostiles, à l’international couvrant plusieurs juridictions, avec le plus haut de niveau confiance possible.

Avec Woleet, Nous donnons de la valeur probante aux données, et la traçabilité de la supply chain est un des cas d’usage que nous adressons. Mais dans ce cadre, notre rôle se limite à prouver la date et la provenance des données en publiant la preuve dans l’horloge cryptographique la plus sécurisée au monde : Bitcoin. Le dernier projet en date est la certification de la chaîne de production de diamants pour la société belge HB-Antwerp où pour chaque diamant, des dizaines d’événements sont récupérés depuis l’achat de la pierre brute à l’État du Botswana jusqu’à la vente du diamant taillé et poli. Dans ce projet, la partie “blockchain” est un simple élément de sécurité, et la mise en place des systèmes d’information récupérant toutes ces données pèse bien plus lourd en termes de coûts, car bien plus longue à mettre en place. Dans ce cas précis, il leur a fallu un an pour mettre en place les outils de récupération de données via un logiciel ERP classique (sans blockchain) et simplement quelques jours pour automatiser le scellement des données récoltées dans Bitcoin via notre technologie capable de générer des millions de preuves avec un nombre de transactions onchain très réduit..

Le luxe, mais aussi les industries de pointe particulièrement concernées par la contrefaçon, le secret ou la sécurité, sont les premiers concernés car ils peuvent ainsi donner une valeur supplémentaire à leurs données de traçabilité, afin d’en tirer un avantage compétitif. Plus l’objet concerné aura de la valeur à la revente, plus ce sera pertinent d’apporter de la confiance à ses données de traçabilité. Avec le temps, les industriels commencent à comprendre le véritable rôle de la blockchain comme élément de sécurité de systèmes de traçabilité déjà en place plutôt qu’un système tout-blockchain peu efficace et demandant la mise en place d’une nouvelle infrastructure, et faisant exploser les coûts.

En conclusion, nous avons aujourd’hui assez de recul pour commencer à sortir de l’approche holistique de la blockchain pour la supply chain. Avec une vision plus pragmatique d’un outil de sécurité, interopérable et permettant à n’importe qui de vérifier la date et la provenance d’une information, la promesse est véritablement tenue car tout le monde peut adopter ce système simplement, chacun son tour, afin d’instaurer au fur et à mesure une confiance universelle sur la totalité de la chaîne et plus précisément sur les données récoltées. Exit les blockchains alimentaires, documentaires, ou autres monstruosités. Des systèmes centralisés existants seront beaucoup plus efficaces, et la blockchain (publique) peut en complément, authentifier les données dans le temps sans pour autant être utilisée comme une base de données.

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